Ce qu'on fait là. Toute l'histoire.



A l'origine, il y a deux copines qui écrivaient et puis qui n'écrivent plus... Il y avait des concerts, des voyages autour du monde, des Cosmopolitains à la pelle, des virées nocturnes, des weekend à la campagne, des chansons au coin du feu, des découverts à la banque, des rêves pleins la tête...

Et puis elles ont grandi, elles se sont rangées et maintenant elles vont devoir se séparer... Alors, pour avoir le sentiment d'être toujours là, juste à côté, tu sais si tu as besoin, passe donc, elles commencent un nouveau blog.
L'une en Picardie, l'autre en Francilie, chacune à la recherche de ce qui fait encore la beauté de sa nouvelle vie, vie de trentenaire, de mère au foyer, de femme nouvellement engagée, de prof affirmée, d'amie fidèle, toujours.

Ce blog est donc un vaste fourre-tout et un bordel assumé avec une seule contrainte : une photo par jour. Il s'adresse à elle, à elles, à eux, à vous et à moi. Entre donc.

lundi 16 mars 2015

Jour #75

Madame Bernard.

Madame Bernard avait de jolis cheveux roux. Elle était belle et souriante. Elle était prof. C'était la mienne.

Elle m'a fait lire Michel Tournier et Steinbeck, elle m'a fait étudier Souchon, elle m'a fait écrire comme une journaliste, elle m'a fait réfléchir. Elle m'a fait me sentir douée et j'ai aimé les lettres, ces années-là. Grâce à elle.

Aujourd'hui, Madame Bernard, c'est moi. C'est moi quand je fais écrire et dire des poèmes. C'est moi quand je fais écouter Brassens. C'est moi quand j'y arrive...

Un vendredi après-midi, dans une salle de réunion, à ma gauche, une dame. Une vieille dame. Elle me parle, elle me regarde.  Longtemps. De plus près. Ce visage, ces yeux, ces cheveux...

Madame Bernard a vingt de plus. Elle ne ressemble plus à celle que j'ai quittée il y a vingt ans. Le roux flamboyant des cheveux est délavé, comme une aquarelle, c'est blond, c'est fade, c'est passé. Les yeux rieurs ne sont plus maquillés et se perdent dans un paysage ridé. Madame Bernard a du mal à marcher. Elle a grossi. C'est difficile de se mouvoir. Les jambes sont lourdes.
Elle a l'air fatiguée, Madame Bernard. Elle a divorcé. Est-ce qu'elle y croit encore à ce qu'elle fait, Madame Bernard?
Elle qui m'a fait rêver, qui m'a ouvert la porte... 

Je lui dis. Madame vous étiez exceptionnelle. Vous faites partie de celles que l'on n'oublie pas. 
Et elle se rappelle Madame Bernard. Elle se rappelle l'enfant sage d'il y a vingt ans. Elle ne m'a pas oubliée non plus, Madame Bernard. Et elle m'apprend encore, aujourd'hui que le temps n'épargne pas. Personne. Rien.

Et finalement, ce qu'il y a de beau dans notre métier, c'est que malgré tout, même quand le temps fait son ouvrage, et qu'un matin on se lève, qu'on se voit, dans le miroir, fatiguée, passée, vieillie, on n'est pas à l'abri de croiser un ancien élève, qu'on croyait perdu au fond d'une mémoire trop chargée, qui nous verra toujours, lui, avec les yeux de la petite 6ème du collège Armand Lanoux, avec les yeux de du souvenir, de l'admiration et du respect.


Croiser des chemins.

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